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Les réactions en phase gazeuse sont omniprésentes au quotidien, de la combustion des moteurs aux atmosphères planétaires, et ont un impact majeur sur l’environnement et donc sur l’être humain. Ces réactions sont régies par des intermédiaires réactifs, appelés radicaux. Détecter et identifier l’ensemble des radicaux et des produits stables formés lors de la réaction est nécessaire pour comprendre les mécanismes complexes qui sont en jeu, de manière à pouvoir prévoir le comportement de ces systèmes complexes. Une collaboration entre quatre laboratoires financés par l’Agence Nationale de la Recherche a permis la production d’un dispositif expérimental unique récemment installé sur la ligne de lumière DESIRS, capable de détecter et d’identifier les espèces présentes simultanément.
La détection simultanée en temps réel, pour tout temps donné, de l’ensemble des espèces présentes dans un mélange complexe a longtemps représenté l’aboutissement ultime des études de réactivité. Dans cette situation idéale, il serait possible de créer un modèle détaillé capable de prédire parfaitement l’état interne du système à tout instant et d’anticiper sa réponse aux changements extérieurs.
Parmi les méthodes prometteuses développées dans le domaine, la spectroscopie de masse est généralement considérée comme la technique de détection la plus universelle, puisque toutes les espèces peuvent être ionisées avec un rendement élevé. Cependant, les sources d’ionisation en laboratoire, comme les lasers, les lampes à décharge ou l’impact électronique ont des effets indésirables : fragmentation excessive pour une énergie d’ionisation élevée ; incapacité à ioniser l’ensemble d’espèces pour une faible énergie d’ionisation. Par conséquence, au cours de la dernière décennie, plusieurs groupes de chercheurs se sont tournés vers la spectrométrie de masse par photo-ionisation (PIMS) basée sur le rayonnement synchrotron VUV accordable pour compléter les données de laboratoire. L’accordabilité signifie que l’on peut se placer dans des conditions proches du seuil d’ionisation (dénommé ionisation douce) pour éviter la fragmentation. En analysant l’énergie du photon, la forme des courbes de rendement du photoion (PIE) donne également des informations structurelles importantes, permettant dans des cas favorables d’identifier certains isomères.
Dans une autre étape vers la détection universelle, a consortium de quatre laboratoires (PC2A, Lille ; ISM, Bordeaux ; CRF, Sandia ; DESIRS, Gif-sur-Yvette) nommé SYNCHROKIN a été récemment formé et financé par l’ANR pour appliquer les techniques de double imagerie en coïncidence photoélectron/photoion i2PEPICO avec le rayonnement synchrotron pour l’étude de la réactivité en phase gazeuse. Les dispositifs PEPICO ont été utilisés dans des processus d’ionisation fondamentale depuis plusieurs décennies mais leur combinaison à des capacités d’imageries puissantes est plus récente. Au lieu de se contenter d’enregistrer le courant ionique, l’énergie du photoélectron et l’information angulaire peuvent être reliées à toutes les espèces du spectre de masse, fournissant ainsi une empreinte électronique bien plus sensible à la structure que les courbes PIE.
Deux types de réacteurs ont été choisis pour étudier les radicaux et la réactivité en phase gazeuse : un réacteur continu muni d’un système tube d’écoulement et injecteur pour les réactions lentes (de l’ordre de la milliseconde à la seconde) ; et une cellule de photolyse pour les réactions rapides (de la microseconde à la milliseconde). Grâce à l’accordabilité, au flux élevé de photons et la résolution de la ligne DESIRS et au spectromètre de pointe DELICIOUS3, qui incorpore des techniques d’imagerie i²PEPICO pour un haut niveau de détection multiplexe, les scientifiques estiment être désormais aussi près que possible de la détection universelle de produits. De plus, pour de nombreux radicaux, leur spectre photo-électronique (ou empreinte) n’est pas connue du fait des difficultés inhérentes à la production de ces espèces réactives. Dans ces cas précis, le tube d’écoulement a permis de former ces radicaux par addition ou soustraction d’hydrogène, permettant ensuite de mesurer les spectres qui mènent à d’importantes informations structurelles par comparaison à des méthodes ab initio.
Le dispositif présenté sur la figure 1 a été utilisé pour l’étude spectroscopique de plusieurs espèces radicales qui ont été formées dans le tube à écoulement par abstraction d’hydrogène, comme dans l’exemple OH/OD présentée sur la Figure 2. Il a par ailleurs été utilisé pour l’identification de produits de réactions présentant un intérêt atmosphérique. De nombreux projets extérieurs demandent déjà à bénéficier de ce dispositif pour des études sur les radicaux et la réactivité.
Figure 1 : Schéma 3D du système injecteur/réacteur dans l’enceinte à jet moléculaire SAPHIRS de la ligne de lumière DESIRS. Les radicaux sont formés directement par décharge micro-onde ou par abstraction d’hydrogène et réagissent ensuite dans le tube à écoulement avec une molécule stable ou un autre radical. Le temps de réaction est mesuré par la distance de réaction d puisque la vitesse de l’écoulement laminaire est connue. Un dispositif similaire est utilisé pour les réactions photo-initiées (non montré ici), sauf que les radicaux sont générés par photolyse laser pulsée, avec le temps de réaction mesuré par rapport au tir laser.
Figure 2 :
(a) Spectre de masse de la composition du réacteur à écoulement obtenu à une énergie de photon de 18 eV. La puissante technique d’imagerie d’ions permet de séparer les espèces venant du réacteur (courbe noire) de celles présentes dans les enceintes à cause du vide imparfait (courbe rouge). OH/OD ont été produits avec une décharge micro-onde de F2 après mélange de l’atome F résultant avec H2O/D2O. Toutes les espèces peuvent être identifiées par leur empreinte électronique et ont été listées. Les spectres de photoélectron de certaines espèces sont représentés sur le graphe.
(b) En particulier, le spectre du radical OH a été obtenu pour la première fois sans la contribution de contaminants grâce aux techniques de coïncidence. Cette empreinte peut être utilisée pour étudier la structure des radicaux par comparaison avec des modèles théoriques, mais également comme un outil puissant d’identification d’espèces dans des milieux complexes, comme expliqué dans le texte. Des résultats similaires ont été obtenus pour son homologue deutéré.