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Que deviennent les radionucléides naturels ou issus de l’activité nucléaire dans l’environnement ? Avec l’évènement récent de Fukushima, localisé en bord de mer, la question est d’autant plus cruciale que les études sont rares sur le sujet. Une équipe de l’Institut de Chimie de Nice (CNRS/Université de Nice) et du CEA DAM s’est intéressée à la spéciation de l’uranium et du neptunium dans l’eau de mer, afin de comprendre les mécanismes à l’œuvre mais aussi d’en évaluer l’impact. Leurs travaux ont été publiés dans les Dalton transactions de la Royal Society of Chemistry.
Le devenir dans l’environnement des radionucléides naturels et anthropogéniques issus de l'activité nucléaire demeure une préoccupation majeure dans la société actuelle. Les essais nucléaires militaires de la période guerre froide ainsi que les accidents du nucléaire civil ont conduit à des rejets non négligeables de radionucléides dans l’environnement et ce sous diverses formes. L’évènement le plus récent de la centrale de Fukushima en 2011 a par exemple impacté de façon plus spécifique le compartiment marin du fait de la localisation de la centrale. Par ailleurs, les océans recouvrant les trois quart du globe et étant le siège de nombreuses échanges au sein de l'hydrosphère, l’étude du comportement des radionucléides dans ce milieu, c'est à dire leur spéciation, apparait comme essentielle. Pour autant, le milieu marin est actuellement très peu étudié, et les données à l'échelle moléculaire sont lacunaires. Ceci peut être en partie dû à la complexité de ce milieu dont la très forte salinité est l'une des principales caractéristiques. La connaissance de la spéciation de ces éléments dans l’eau de mer est donc essentielle à renseigner, dans le but de comprendre les différents mécanismes de transfert mais également pour en évaluer l’impact.
L’étude menée par les scientifiques a consisté à étudier la spéciation de l’uranium(VI) ainsi que celle du neptunium(V) dans l’eau de mer. La concentration "naturelle" des radionucléides et en particulier des actinides est extrêmement faible dans l’eau de mer (10-8 M dans le cas de l’uranium et < 10-13 M pour les autres actinides). Alors que les méthodes spectrométriques telles que la spectrométrie de masse couplée à un laser inductif (ICP-MS) ou la spectrométrie de masse par accélérateur (AMS) permettent d'inventorier de l'ordre du ppt, les techniques spectroscopiques donnant accès à la spéciation moléculaire ne permettent pas d'y accéder. Pour contourner cette difficulté tout en restant le plus représentatif possible du milieu naturel, l’équipe a travaillé sur des solutions naturelles d’eau de mer dopées à 5.10-5 M en actinide.
En premier lieu, la spéciation de l'uranium et du neptunium a été modélisée avec les constantes de complexation connues et répertoriées dans des bases de données. Ces données ont ensuite été confrontées aux résultats obtenus expérimentalement à l’aide de la combinaison, dans le cas de l’uranium, de l’EXAFS (Extended X-ray Absorption Fine Structure) et de la SLRT (Spectroscopie Laser Résolue en Temps). Dans le cas du neptunium, seul l'EXAFS a pu être mise en œuvre, cet élément n'étant pas fluorescent dans les conditions utilisées.
Figure 1 : spectres SLRT de l'uranium: solution standard d’uranium(VI) représentant l'ion aquo (- -) (pH 1) et solution d’eau de mer dopée à 5.10-5 M (¾) pH 8.
Pour l'uranium, la SLRT a permis de mettre en évidence la présence majoritaire du complexe neutre Ca2UO2(CO3)3 dans l’eau de mer de 5.10-5 M à 1.10-5 M (Figure 1). Les mesures EXAFS ont été réalisées sur la ligne MARS, dédiée à l’étude des matériaux radioactifs au synchrotron SOLEIL (Figure 2). L'ajustement du spectre EXA
FS montre que l’uranium est lié à trois groupements carbonates. Les distances moyennes obtenues sont de 1.80 Å entre l’atome d’uranium et les oxygènes axiaux, de 2.43 Å entre l’uranium et les oxygènes équatoriaux et de 2.90 Å entre l’uranium et les carbones. Ces distances sont caractéristiques des groupements carbonates bidentés. Dans le cas du neptunium, l'enregistrement des spectres EXAFS a été plus délicat car la présence de brome dans l’eau de mer (dont une des raies d’émission de fluorescence est très proche de la raie LIII d’intérêt du neptunium) vient perturber le rapport signal sur bruit. Les données EXAFS indiquent néanmoins la présence d’au moins un ligand carbonate avec des distances 2.54 Å entre l’atome de neptunium et celui les oxygènes équatoriaux et une distance de 2.99 Å avec les carbone. L’incertitude sur le nombre de carbone est très importante et ne permet pas de conclure sur le nombre de ligand carbonate. En reliant ces données avec celles de la spéciation théorique il apparait possible que le neptunium(V) soit présent sous deux formes dans l’eau de mer : NpO2+ et NpO2CO3-.
Figure 2 : Transformée de Fourier des spectres EXAFS expérimentaux (¾) et ajustés (ooooo) des solutions d’eau de mer dopées en uranium et neptunium à 5.10-5 M. Seuil LIII de l'urnaium et LII du neptunium.
Dans le cas de l’uranium, le complexe Ca2UO2(CO3)3 se révèle être non toxique ou non bio disponible. Cette étude nous montre que la connaissance de la spéciation des actinides dans le milieu marin est complexe et nécessite de coupler les techniques spectroscopiques avec la modélisation. Dans le cas particulier de l'eau de mer, la présence à forte concentration de certains cations (Ca2+, Na+.) a un impact non négligeable sur la spéciation.