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Mesure de l’impact des champs de sillage incohérents sur le faisceau d’électrons

Dans un anneau de stockage, le faisceau d’électrons interagit avec la chambre à vide où il circule, générant des champs de sillage qui rétroagissent sur le faisceau lui-même. L'effet principal de ces champs est de limiter le courant stocké dans l'anneau, car les faisceaux de forte intensité sont excités par de tels champs jusqu'à l'explosion, qui provoque la perte du faisceau. L'utilisation du système de feedback transverse (FBT) permet de réduire cette limitation de courant du faisceau. Mais par ailleurs, dans le cas particulier des chambres à vide plates (ouverture verticale faible) comme celles utilisées à SOLEIL, les champs de sillage introduisent une focalisation incohérente supplémentaire, proportionnelle au courant de faisceau, qui modifie significativement le réglage des nombres d'onde horizontal et vertical de la machine et peut affecter les performances en termes de durée de vie du faisceau et d'efficacité d'injection. Des mesures exhaustives et innovantes ont été réalisées à SOLEIL par le groupe Physique des Accélérateurs, afin d’étudier cette focalisation incohérente, particulièrement dans le cas de forts courants par paquet. Ces résultats sont publiés dans Physical Review Accelerators and Beams.

Un faisceau d’électrons de forte intensité circulant dans une chambre à vide plate génère des champs de sillage incohérents, en raison de la proximité des parois métalliques. Cet effet est appelé « effet de paroi résistive ». Les champs restent alors à l’intérieur de la chambre à vide en raison de la géométrie non-circulaire de la section de cette dernière. On sait que la composante principale du champ résiduel est quadrupolaire, et agit de façon incohérente comme le ferait un aimant quadrupôle, avec une force de focalisation directement proportionnelle au courant du faisceau stocké. Dans le cas d’un faisceau d’électrons de haute intensité, les nombres d'onde bétatron horizontal et vertical sont significativement modifiés par rapport au réglage de référence. Cet effet est d'autant plus important à SOLEIL que certains modes de fonctionnement de la machine impliquent des forts courants par paquet d’électrons et il faut donc en tenir compte dans les réglages de la machine. L’impact de ces champs de sillage incohérents a été mesuré à SOLEIL de façon exhaustive pour les trois types de portée des champs excités : le régime longue portée pour le remplissage multi-paquets (416 paquets à équidistance les uns des autres, remplissant la totalité de l’anneau), le régime moyenne portée impliquant les électrons dans des paquets proches, et le régime courte portée impliquant des électrons dans un même paquet.

Régime longue portée pour le remplissage multi-paquets

Ce mode de remplissage de l’anneau a déjà été étudié lors de la phase de conception de l’anneau de stockage. Ce qui a été fait en plus est l'utilisation de la matrice d'efficacité des 57 correcteurs sur l'orbite fermée (horizontale et verticale) mesurée aux 122 moniteurs de position du faisceau (BPM) pour identifier la localisation et la force des sources de type quadrupôle. Comme attendu, des gradients quadrupolaires plus importants ont été identifiés au niveau des sections droites moyennes et longues, là où l’ouverture verticale de la chambre à vide est plus faible.

Régime moyenne portée impliquant les électrons dans des paquets proches

Pour étudier la dépendance temporelle des champs de sillage excités par un paquet d’électrons de forte intensité, les nombres d'onde d'un paquet parasite (très faible intensité : 15 µA) ont été mesurés en fonction de sa distance au paquet intense. Quatre paquets parasites ont été stockés en amont et en aval du paquet intense. Le système de feedback transverse (FBT) a été utilisé pour exciter chacun des 8 paquets parasites indépendamment, afin de mesurer leurs nombres d'onde. La détection des signaux faibles issus des paquets parasites s’est révélée très difficile à la fois à cause du fort champ de sillage du paquet principal qui s’étend sur le paquet adjacent, et des forts « coups » du FBT visant à stabiliser le paquet principal face à l’instabilité dite "tête-queue".

Une amélioration importante a été obtenue en remplaçant la détection faite avec un BPM par une "stripline" court-circuitée de façon à minimiser les interférences. Pour tous les paquets parasites, les variations de nombres d'onde mesurées sont positives horizontalement et négatives verticalement (Fig.1). Comme attendu, les variations mesurées sur les paquets en amont sont beaucoup plus faibles que celles mesurées sur les paquets en aval ; la valeur est maximale pour le paquet le plus proche du paquet principal, puisqu’il subit la plus forte amplitude du champ de sillage induit par le paquet principal.

Figure 1 : Variation des nombres d'onde incohérents horizontal (rouge) et vertical (bleu) mesurée avec les 4 paquets parasites en amont (-4 à -1) et en aval (1 à 4), pour un fort courant du paquet principal de 20 mA.

Régime courte portée impliquant des électrons dans un même paquet.

Les variations des nombres d'onde bétatron mesurées en excitant un paquet de forte intensité résultent de deux contributions : un décalage cohérent induit par les champs de sillages dipolaires, et un décalage incohérent que l'on veut identifier. Le système utilisé habituellement pour mesurer les nombres d'onde ne peut pas distinguer les deux contributions. L’idée de l’équipe Physique des Accélérateurs est d’utiliser la résonance de couplage bétatron νx – νz = 8 pour mesurer uniquement la variation des nombres d'onde incohérents. En effet,  la condition de résonance peut être identifiée très précisément en utilisant comme diagnostique l'émittance verticale du faisceau mesurée grâce à l'analyse du rayonnement synchrotron X par une caméra "pinhole": l'émittance verticale est maximale quand les deux nombres d'onde sont sur la résonance de couplage.

Après avoir minimisé la largeur de la résonance de couplage avec des quadrupôles tournés, le nombre d'onde horizontal a été augmenté pour s'approcher du nombre d'onde vertical (maintenu constant) et atteindre ainsi la condition de résonance. L’émittance verticale du paquet à fort courant était enregistrée simultanément. La même mesure avait été réalisée précédemment avec un paquet à bas courant. La comparaison des deux courbes de variation de l'émittance verticale a montré que l’émittance verticale est maximisée quand les nombres d'onde de la machine sont en résonance pour le paquet à bas courant, mais encore loin de la résonance de couplage pour le paquet à fort courant. Le décalage des nombres d'onde du paquet à fort courant est ainsi identifié. L’expérience a été étendue à quatre autres valeurs de forts courants de paquet et les mesures sont comparées aux calculs sur la Fig.3.

Ces mesures innovantes montrent en particulier que l’effet du revêtement NEG n’est pas négligeable, et que la variation des nombres d'onde incohérents avec le courant est 18 fois plus importante pour le régime à courte portée (fort courant par paquet) que pour le régime longue portée (fort courant total). Cela peut expliquer que les valeurs des nombres d'onde optimisées pour l'opération diffèrent entre le remplissage multi-paquets et le remplissage à 1 ou 8 paquets.

Figure 2 : Variation de l’émittance verticale mesurée en fonction de la distance entre les parties fractionnaires des nombres d'onde horizontal et vertical pour un bas courant par paquet (noir) et un fort courant de 20 mA par paquet (rouge).

Figure 3 : Variation  du nombre d'onde horizontal incohérent en fonction du courant par paquet. Carrés rouges : mesures.  Zone bleue : calcul tenant compte du revêtement NEG. Tirets bleus : calcul ne tenant pas compte du revêtement NEG.