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Caractérisation de l’équilibre entre l’acide acétique et son dimère
L’énergie libre de dimérisation de l’acide acétique à température ambiante a été déterminée par une méthode d’analyse basée exclusivement sur la spectroscopie infrarouge, levant ainsi la controverse sur la capacité de cette technique à produire des données thermodynamiques de qualité. Ce travail a été réalisé grâce au dispositif Jet-AILES, un jet supersonique couplé au spectromètre infrarouge haute résolution de la ligne AILES, développé conjointement par des équipes des laboratoires PhLAM (Lille 1), MONARIS (Paris VI), IPR (Rennes 1) et de la ligne AILES (SOLEIL). Le spectre de la vapeur d’acide acétique refroidie par détente adiabatique a été enregistré dans une large gamme du domaine infrarouge. La flexibilité du montage en termes de conditions d’expansion a permis l’attribution définitive des signaux observés à la précision instrumentale. Le très bon accord entre ces résultats et les nombreuses données déjà disponibles, issues d’une multitude d’analyses différentes, montre que cette méthode basée sur une étude spectroscopique dans l’infrarouge permet de caractériser avec précision un équilibre de dimérisation en phase gazeuse à partir d’une seule analyse.
Figure 1 : Structures du trans-acide acétique (a) et de son dimère cyclique (b).
Les acides carboxyliques sont des composés organiques largement utilisés dans l’industrie et font partie des espèces les plus abondantes du milieu interstellaire et des atmosphères planétaires. En phase gazeuse, leur structure majoritaire a la forme d’un dimère cyclique (Figure 1) : la vapeur d’acide acétique à température ambiante est composée d’environ 85 % de dimère contre seulement 15 % de monomère. L’acide acétique, l’un des plus petits membres de cette famille, est un système modèle pour la caractérisation des propriétés physico-chimiques des acides carboxyliques. A ce titre, il a fait l’objet de très nombreuses études. Concernant la spectroscopie infrarouge, l’attribution de certaines bandes d’absorption ainsi que la composition de la vapeur sont restées ambigües malgré les diverses études menées sous différentes conditions expérimentales : mesures effectuées à température ambiante, en jet supersonique, en matrice de gaz rare, toutes confrontées à de nombreux calculs théoriques. Concernant la thermochimie de l’équilibre monomère-dimère, la dispersion des valeurs de l’énergie libre de dimérisation sur une gamme de plus de 5 kJ/mol (correspondant à une incertitude relative d’environ 30 %) montre que ce point a toujours été sujet à controverse, qu’il s’agisse de problèmes expérimentaux, d’analyse ou de calculs.
Jet-AILES accompagné de calculs quantiques comme outils de diagnostic.
Figure 2 : Spectres infrarouges (550-2000 cm-1, résolution 0,5 cm-1) de la vapeur d’acide acétique enregistrés dans différentes conditions de détente adiabatique. De l’avant vers l’arrière , on remarque clairement que les signaux du monomère augmentent tandis que les signaux du dimère tendent à diminuer.
Lors de cette étude, la vapeur d’acide acétique a pu être observée dans de multiples conditions d’expansion adiabatique grâce au dispositif Jet-AILES. Différentes tailles d’injecteurs planaires, une débitmètrie précise du flux de l’échantillon et de son gaz porteur, ainsi qu’une régulation thermique de l’ensemble du système d’injection ont permis de contrôler avec précision la production ou la destruction du dimère dans la vapeur sondée par le faisceau infrarouge. Les variations relatives de l’intensité des signaux d’absorption avec les conditions de jet ont conduit à une attribution claire des bandes infrarouges observées (Figure 2). De plus, l’abaissement considérable de la température a conduit à l’élimination des bandes chaudes du spectre, responsables de décalages des bandes d’absorption à température ambiante pouvant atteindre plusieurs dizaines de cm-1. La fréquence de chaque mode de vibration a ainsi pu être pointée avec une précision inégalée.
Cette analyse préalable a montré que la vapeur sondée était uniquement composée du trans-monomère et de son dimère cyclique (Figure 1). Elle a ouvert la voie à une caractérisation thermodynamique de l’équilibre monomère-dimère qui s’est faite en deux étapes. Les calculs quantiques sur lesquels s’appuie l’étude ont tout d’abord été calibrés sur la base des résultats expérimentaux. Puis, les bandes infrarouges isolées et non-perturbées ont été sélectionnées en s’appuyant sur ces calculs afin de déterminer le rapport des fractions molaires monomère/dimère en fonction de la pression totale du mélange gazeux.
Les bandes infrarouges ainsi choisies ont été enregistrées à température ambiante dans une gamme de pression allant de 4 mTorr à 1,5 Torr grâce à des montages expérimentaux mis en place sur la ligne AILESet à MONARIS. La difficulté liée à la quantification d’une réaction de dimérisation à température ambiante réside dans le fait que le monomère et le dimère sont toujours présents en même temps dans l’échantillon sondé. Dans cette étude, l’utilisation des intensités de bandes issues des calculs quantiques calibrés grâce aux spectres en jet a permis la détermination des fractions molaires en fonction de la pression totale, à partir desquelles une constante d’équilibre (proportionnelle à la pente de la droite, voir Figure 3) et une énergie libre de dimérisation à 298 K ont été déduites. Le très bon accord de cette dernière avec la valeur connue la plus récente, issue de la sélection d’une multitude d’analyses différentes, montre que cette méthode basée sur une étude spectroscopique dans l’infrarouge permet de caractériser avec précision un équilibre en phase gazeuse à partir d’une seule analyse.
Figure 3 : Rapport (pondéré) des fractions molaires du dimère (xD) et du monomère (xM) en fonction de la pression totale. Losanges noirs = moyenne, ronds rouges = maximum, carrés bleus = minimum. La constante d’équilibre est égale à la pente multipliée par la pression standard (750 Torr).
Cette nouvelle méthode, plus simple et plus rapide, sera testée prochainement sur d’autres acides carboxyliques comme les acides formique ou oxalique. Le premier, plus simple en l’absence de groupements méthyles, servira à nouveau de système modèle, tandis que le second, plus complexe avec deux groupements carboxyles, servira de test à l’application de cette méthode vers d’autres membres de cette famille.