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Sur la ligne AILES, le dispositif de jet supersonique associé à la spectroscopie d’absorption infrarouge (IR) haute résolution (Jet-AILES) vient d’apporter la preuve incontestable de la planéité du trimère cyclique du fluorure d’hydrogène dans son état fondamental.
Ce défi expérimental n’avait pu être tranché depuis les premières études réalisées sur ce complexe moléculaire à la fin des années 80. Il a enfin pu aboutir grâce aux travaux d’une équipe française de l'Université Pierre et Marie Curie (MONARIS), du Laboratoire de Physique des Lasers, Atomes et Molécules de Lille, de l’Institut de Physique de Rennes, et du synchrotron SOLEIL, en combinant la large couverture spectrale accessible par interférométrie et la détectivité élevée de ce jet moléculaire supersonique dans l’IR lointain. Ce domaine spectral encore peu exploré s’avère particulièrement intéressant pour l’étude de la liaison hydrogène au sein de petits complexes modèles, car il permet de sonder directement les nouveaux modes intermoléculaires formés en évitant les obstacles majeurs posés par la dynamique vibrationnelle à plus haute énergie d’excitation.
Les petits complexes formés de l’association entre deux ou trois molécules (dimères, trimères) sont les systèmes les plus simples pour caractériser les interactions intermoléculaires binaires et ternaires qui jouent un rôle essentiel dans la compréhension de la phase condensée de la matière. Si l’on fait un parallèle avec la sociologie, il apparaît clairement que les interactions entre un large nombre de molécules (ou entre un groupe d’êtres humains) ne se réduisent pas seulement à la somme des interactions entre paires. Le modèle simpliste appelé « additivité par paires » est seulement une approximation et il faut aussi tenir compte des forces intermoléculaires à trois corps pour décrire plus précisément les complexes moléculaires au-delà du dimère. Dans les trimères moléculaires par exemple, cette contribution ne représente qu’une faible fraction de la somme totale des forces et ne peut être extraite que si les interactions binaires ont bien été modélisées.
Parmi les dimères homomoléculaires (avec la même molécule), le dimère de fluorure d’hydrogène (HF)2 fait partie des systèmes les plus étudiés depuis 30 ans, notamment par spectroscopie IR et microonde en phase gazeuse.
Peu d’études spectroscopiques ont été reportées jusqu’à présent sur des trimères homomoléculaires. Le milieu dilué le plus adapté à de tels systèmes est la détente adiabatique (sans échanges thermiques) d’un jet supersonique, capable de stabiliser à basse température les liaisons intermoléculaires des complexes à liaison hydrogène, avant de les sonder par spectroscopie infrarouge dans des conditions proches de la molécule isolée. Les paramètres moléculaires sont ensuite extraits de l’analyse des spectres vibrationnels résolus en rotation.
Dans le cas du trimère de fluorure d’hydrogène (HF)3, le haut degré de symétrie de la structure cyclique empêche l’utilisation de certaines techniques d’analyse.
Jet-AILES, sonde performante des forces intermoléculaires dans le lointain IR
Pour révéler la structure de ce trimère, les chercheurs ont mis en place une stratégie expérimentale, qui consiste à exploiter un dispositif de jet supersonique continu à fort débit molaire gazeux dans l’IR lointain grâce au spectromètre à haute résolution de la ligne AILES (montage Jet-AILES). Le défi expérimental est ambitieux car les modes intermoléculaires de vibration sont généralement moins intenses et la détectivité des montages plus faible que dans l’IR moyen. Ils ont tout d’abord optimisé le signal du trimère de HF dans cette région spectrale plus favorable, afin de fixer les conditions expérimentales pour les expériences à haute résolution dans l’IR lointain.
Les contours de bandes rotationnellement résolues de 2 modes de pliage dans le plan (v6) et hors du plan (v4) du cycle de (HF)3 ont été observés dans cette région, puis globalement analysés pour obtenir les paramètres moléculaires dans l’état fondamental et deux états vibrationnels excités. La Figure 1 montre une comparaison entre le spectre expérimental et notre meilleure simulation de la branche rotationnelle qQ(J,K) du mode v4.
Figure 1 : Détail de la branche qQ(J,K) du mode de pliage hors du plan (v4) de (HF)3 avec les attributions. En haut, avec Jet-AILES (résolution : 0.005 cm-1) ; en bas, simulation à une température rotationnelle de 30 K.
La question de la planéité du (HF)3 dans l’état fondamental a pu être définitivement tranchée en exploitant l’information contenue dans les paramètres rotationnels. Plus précisément, les chercheurs ont confirmé que le critère de planéité de (HF)3 dans son état fondamental, représenté par une relation simple entre les constantes de distorsion centrifuge, était bien vérifié. Un autre argument fort est donné par les défauts d’inertie1 déduits des paramètres rotationnels : les valeurs sont bien corrélées avec les trois états vibrationnels impliqués, proches de zéro dans l’état fondamental et pour le mode de pliage dans le plan, beaucoup plus élevées pour le mouvement de large amplitude hors du plan. Finalement, la distance entre les centres de masse des molécules de HF (Rcom) a pu être déterminée avec une incertitude de l’ordre du millième d’angström (Figure 2).
En conclusion, les scientifiques ont démontré à travers cette étude, que le montage Jet-AILES, associant la spectrométrie IR large bande à haute résolution et la technique de jet supersonique moléculaire disposait d’une détectivité suffisante pour élucider la structure de petits complexes moléculaires modèles. Cette expérience sera répétée prochainement pour caractériser la structure du tétramère de HF.
Figure 2 : Structure du trimère cyclique de (HF)3 qui inclut la distance Rcom (distance entre les centres de masse des molécules de HF) déterminée à partir de l’expérience.
1Défaut d’inertie : différence entre les moments d’inertie suivant les axes principaux du système moléculaire étudié. Sa valeur doit être nulle pour une molécule plane.