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Imagerie de phase dans les rayons X

La radiographie X par contraste d’absorption est l’un des moyens de diagnostic efficace pour sonder la matière en profondeur. Toutefois, ses capacités d'analyse sont largement remises en cause si les constituants élémentaires de l'objet d'étude ont des propriétés d'absorption similaires. Exactement comme pour le domaine de l'imagerie microscopique, l’un des moyens de dépasser cette limitation consiste à s'intéresser non plus aux variations liées à l'absorption, mais aux déphasages introduits par les matériaux traversés : on parle alors couramment d’imagerie de phase.

En rayons X, cela nécessite une très haute précision et sensibilité de mesure sur la phase, car les indices des matériaux sont très proches (légèrement inférieurs à 1 de quelques 10-6). L’interférométrie X, basée sur l’utilisation de réseaux en transmission, est l’une des techniques permettant d’atteindre les performances de mesures recherchées, avec des résolutions spatiales microniques voir submicroniques sur échantillon. Un tel dispositif a été développé dans le cadre d’une collaboration entre la Ligne de Métrologie de SOLEIL et le Département d’Optique Théorique et Appliquée (DOTA) de l’ONERA à Palaiseau.

Interférométrie à décalage quadrilatéral sous éclairement large bande : un nouveau régime de fonctionnement achromatique et continûment auto-imageant

L’interféromètre à décalage quadrilatéral repose sur un réseau de phase binaire (0, p), et bidimensionnel, permettant de créer plusieurs répliques de l’onde incidente légèrement décalées latéralement. Sous éclairement monochromatique, les interférences entre ces répliques produisent périodiquement, en cours de propagation, une image du plan diffractif. Ce phénomène (effet Talbot) apparaît à des distances discrètes (plans Talbot fractionnaires) dépendant uniquement de la longueur d’onde du rayonnement incident et du pas du réseau de phase. La plupart des interféromètres à réseaux développés pour les rayons X reposent sur ce principe. Toutefois, ils présentent l’inconvénient de la chromaticité et doivent être redimensionnés avec la longueur d’onde d’utilisation. L’originalité du dispositif interférométrique développé à SOLEIL réside en l’exploitation de l’effet Talbot panchromatique ; un régime de fonctionnement permettant d’obtenir une figure d’interférence invariante par propagation, dès lors que l’éclairement est suffisamment étendu spectralement [1]. Ce régime achromatique et continûment auto-imageant a été démontré expérimentalement, pour la première fois en rayons X, grâce à l’infrastructure de la Ligne de Métrologie et la radiation blanche de la source synchrotron [2] – il confère au dispositif une sensibilité continûment réglable, dépendant uniquement de la distance entre le plan du réseau de phase et le plan d’observation des franges.

Figure 1 : Principe de l’interféromètre à décalage quadrilatéral, avec son damier de phase binaire (0, p) et l’interférogramme (réseau cartésien de franges) obtenu sur le faisceau blanc de la ligne de Métrologie et Tests du synchrotron SOLEIL.

Un unique interférogramme permet d’accéder aux gradients de phase dans les deux dimensions, ce qui répond à l’exigence d’une reconstruction robuste de la surface d’onde. Les variations de phase introduites par un objet quelconque placé sur le trajet optique du faisceau engendrent une déformation de l’interférogramme, dont l’analyse permet d’accéder aux gradients de phase de l’objet.

Deux enjeux majeurs pour l’imagerie de phase quantitative : la calibration absolue et l’évaluation de l’erreur de mesure

Bien que dans certains cas un diagnostic qualitatif puisse être suffisant, bon nombre d’applications critiques nécessitent de pouvoir quantifier de manière précise le défaut de phase observé. C’est notamment le cas de la métrologie optique, essentielle à l’optimisation des sources, des optiques X et des lignes de lumière. Mais le besoin apparaît également en biologie, dans le médical ou le contrôle non destructif de matériaux

Compte tenu des courtes longueurs d’onde du rayonnement X, les différences de chemins optiques à analyser peuvent être aussi faibles que le picomètre, un milliardième de millimètre. L’accès à des mesures quantitatives et absolues de haute précision (typiquement au dixième de picomètre) implique la mise en œuvre de composants optiques et de détecteurs de très haute qualité et parfaitement caractérisés, le développement des procédés de calibration appropriés, ainsi que l’optimisation des algorithmes conjointement au développement de nouvelles méthodes mathématiques pour le traitement des images, l’analyse des données et l’évaluation de l’erreur de mesure.

Dans ce contexte, des travaux de calibration absolue et de caractérisation du banc interférométrique ont été menés, afin de démontrer que ses performances de mesure pouvaient rejoindre celles des senseurs de front d’onde de type Hartmann introduits en rayons X au début des années 2000. Toutefois, l’approche qui a été mise en œuvre ici consiste à utiliser un échantillon de référence en transmission, plutôt qu’une onde de référence (limitée par la diffraction) qu’il n’est pas toujours aisé de créer en rayons X sur des champs suffisamment importants. L’échantillon de référence utilisé se compose de deux biseaux perpendiculaires (150 µm de large) obtenus par attaque chimique d’une membrane de silicium de 300 µm d’épaisseur. L’attaque chimique, réalisée selon les plans réticulaires (111) du cristal, confère à cette structure prismatique une variation d’épaisseur parfaitement connue et maîtrisée (Figure 2a). Il a ainsi été démontré qu’il était possible d’étalonner précisément le montage à partir d’un défaut canonique de haute qualité. La différence de marche (ou déphasage) introduite par l’échantillon a pu être mesurée après calibration du dispositif à 210 pm pic-à-vallée ; une différence de marche en accord avec la profondeur (211 µm) de l’attaque chimique et l’indice de réfraction du silicium.

Figure 2 : (a) Schéma et image MEB de l’échantillon de référence, (b) différence de marche en rayons X et (c) cartographie d’erreur, mesurées sur la ligne de Métrologie et Tests.

Parallèlement, des développements théoriques ont été conduits par les équipes de la ligne de Métrologie et de l’ONERA pour aller plus en avant et démontrer qu’il était possible de cartographier précisément l’écart type de l’erreur de mesure à partir de la mesure elle-même. Ceci conduit à une bien meilleure stratégie d’évaluation de l’erreur que celle consistant à considérer l’erreur de mesure obtenue sur un calibre de référence comme génériquement applicable. Il est en effet facile de montrer que l’erreur de mesure sur la phase dépend de la complexité de la phase à mesurer.

Des cartographies de clôture des dérivées de phase ont pu être établies : elles démontrent une précision de mesure subpicométrique et mettent en évidence non seulement le bruit de mesure, mais aussi les zones de sous-échantillonnage de l’objet, les dislocations de phase, ainsi que tout défaut de calibration, du dispositif ou du montage expérimental (Figure 2c). Dans les 4 zones (1, 2, 3 et 4) de l’attaque chimique, l’erreur de mesure a été estimée à 0.7 pm RMS. Les défauts de sous-échantillonnage en bordure de structure sont clairement visibles et entraînent localement des erreurs de mesure plus importantes. Un plus haut niveau de bruit est également observable en zone 5 (bord supérieur gauche de l’image) ; il vient d’un défaut de mise au point du système imageur apparu au cours de l’acquisition de l’interférogramme. Il met en évidence l’importance de maîtriser parfaitement la stabilité thermomécanique du banc, d’autant plus critique sur rayonnement synchrotron compte tenu des hautes puissances qui peuvent être délivrées en faisceau blanc.

La figure 3 (ci-dessous) présente une analyse similaire réalisée sur un échantillon fossile : un moustique piégé dans l’ambre. L’erreur de mesure a été estimée à 0.08 pm RMS dans les parties homogènes de l’abdomen (zone A). Des erreurs de mesure plus importantes sont observables dès lors que la fréquence des variations de phase introduites par l’échantillon dépasse la fréquence d’échantillonnage du réseau de phase, ou quand le contraste de phase introduit par l’échantillon altère le contraste des franges dans le plan de détection.

Figure 3 : Moustique piégé dans l’ambre – (a) image en microscopie visible, (b) différence de marche en rayons X et (c) cartographie d’erreur, mesurées sur la ligne de Métrologie et Tests.

 

Ces travaux sont des contributions à l’ouverture du domaine de l’imagerie de phase quantitative. L’établissement de telles cartographies bidimensionnelles d’erreurs est primordial non seulement pour la métrologie optique, mais aussi pour l’imagerie quantitative et la tomographie de phase en rayons X.

Potentialités et Perspectives

L’exploitation de l’effet Talbot panchromatique sur rayonnement synchrotron est l’une des originalités principales de ce dispositif interférométrique, qui se veut le plus simple d’emploi possible. Mais il a aussi été démontré que, sous éclairement polychromatique de courtes longueurs d’onde, la combinaison d’un réseau de phase et d’un réseau d’intensité pure, idéalement nécessaire à l’obtention de ce régime, peut être remplacée par un réseau de phase unique, ce qui de manière évidente représente un net avantage en termes d’alignement, de stabilité et de robustesse. Par la même occasion, le réseau de phase est un composant optique de faible rapport d’aspect, beaucoup plus simple à réaliser qu’un réseau d’intensité pure, ce qui relâche là aussi un bon nombre de contraintes technologiques. Enfin, il est compatible avec des éclairements de forte ouverture numérique qui permettront d’améliorer la résolution spatiale sur échantillon. Ces caractéristiques ouvrent naturellement la voie au développement d’un interféromètre monolithique, dont la calibration absolue pourrait être maintenue de manière permanente, et facilement transposable sur faisceau de forte divergence. L’utilisation d’un spectre large bande (radiation blanche) offre également des potentialités supplémentaires. Le haut flux de photons ainsi accessible permet de réduire considérablement les temps de mesure. Moyennant la mise en œuvre de caméras hautement sensibles et rapides, une mesure de phase peut dans ces conditions être réalisée en quelques millisecondes sur des champs d’observation millimétriques avec des résolutions spatiales microniques ; la collection de données tomographiques pour un rendu tridimensionnel de l’objet en quelques minutes seulement. Les contraintes sur la stabilité du faisceau et du montage expérimental s’en trouvent également fortement relâchées. Enfin, ce développement ouvre la voie à de multiples applications utilisant des sources X commerciales, dites « de table », largement répandues dans les laboratoires de recherche, le médical et l’industrie.

Deux bancs interférométriques sont actuellement à l’étude : un premier optimisé pour la métrologie optique à la limite de diffraction et l’imagerie macroscopique sur faisceau faiblement divergent voir collimaté ; un second dédié à l’imagerie de phase « haute résolution » sur faisceau fortement ouvert. Ce dernier banc devrait permettre d’atteindre des résolutions spatiales submicroniques sur échantillon et sera aussi la première étape vers une transposition aux sources X de laboratoire. Le besoin se situe au niveau des applications du rayonnement synchrotron, mais il est aussi envisagé de répondre à des besoins hors-synchrotron dans divers domaines de recherche, tels la biologie, l’imagerie médicale, l’analyse de matériaux et la microélectronique notamment.

Ce développement a été soutenu par le RTRA « Triangle de la physique » dans le cadre du projet « Mosquito ». Les travaux actuellement en cours sont aujourd’hui soutenus par le Labex-PALM dans le cadre du projet « NanoXDiag ».

 

Références :

 [1] N. Guérineau et al, “Talbot experiment re-examined: demonstration of an achromatic and continuous self-imaging regime”, Opt. Com., 180, 199–203 (2000).

[2] J. Rizzi et al, “Quadriwave lateral shearing interferometry in an achromatic and continuously self-imaging regime for future X-ray phase imaging”, Opt. Lett., 36(8), 1398–1400 (2011).