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L'énergie nucléaire est la première source de production d'électricité en France. Dans le cadre du retraitement du combustible nucléaire usé, les produits de fission et les actinides mineurs sont concentrés puis mélangés avec du verre borosilicaté fondu. Sur la ligne MARS, une équipe du Laboratoire des Matériaux et Procédés Actifs (CEA, Marcoule) a étudié, par spectroscopie d’absorption X, les effets de radiations α sur la structure moléculaire de verres borosilicatés.
La France a décidé de retraiter le combustible usé provenant de centrales nucléaires commerciales avant le stockage à long terme des produits de fission (PF) et des actinides mineurs (AM) extraits du combustible irradié. Les PF et les AM, qui représentent moins de 5 % du poids du combustible nucléaire usé, sont concentrés en solution puis mélangés simultanément avec du verre borosilicaté fondu (figure 1). Par conséquent, les PF et les AM ne sont pas seulement piégés dans le verre mais forment aussi des liaisons qui sont intégrées au réseau du verre. Le procédé industriel global de gestion des déchets a été développé par AREVA et mis en œuvre sur le site de La Hague. Il garantit la fiabilité ainsi que les propriétés de durabilité du matériau nucléaire stocké pendant plusieurs centaines de milliers d'années.
Figure 1 : Verre (déchet nucléaire industriel) composé de plus de trente oxydes
Simulation en laboratoire
À l'échelle du laboratoire, pour mieux comprendre les phénomènes physiques, il est possible d'étudier le comportement d'un verre nucléaire simplifié, soumis à des effets d'auto-irradiation : par exemple en utilisant un verre dopé avec un élément actinide, tel que le curium, Cm. Le Cm-244 a une demi-vie de 18 ans et se désintègre principalement en plutonium, en émettant une particule alpha avec une énergie moyenne de 5,8 MeV.
Pour mieux comprendre les effets d'auto-irradiation d'un point de vue structural, une équipe du Laboratoire des Matériaux et Procédés Actifs (CEA, Marcoule) a réalisé des expériences de spectroscopie d’absorption X (XAS) sur la ligne MARS de SOLEIL, afin d’analyser trois échantillons différents :
- un verre borosilicaté inactif à six oxydes (ISG), utilisé comme témoin
- un verre borosilicaté dopé au Cm (D-ISGC, avec la même composition, cf tableau 1) fondu il y a 8 ans et ayant subi des dommages dus à la désintégration α jusqu'à atteindre un état structural stabilisé
- un échantillon recuit (A-ISGC) prélevé sur le lot précédent, et dans lequel le cycle thermique a effacé tous les dommages structuraux.
Ces deux derniers échantillons avaient une radioactivité cumulée proche de 2.104 fois la radioactivité au seul d'exemption (limite autorisée sur la ligne MARS).
Tableau 1 : Compositions des verres. t0 représente le temps initial correspondant à la fusion du verre ISG. D-ISGC désigne le verre endommagé.
Fraction massique de l'oxyde | SiO2 | B2O3 | CaO | Na2O | Al2O3 | ZrO2 | Cm2O3 | PuO2 |
ISG | 56,18 | 17,33 | 4,98 | 12,17 | 6,06 | 3,28 | 0 | 0 |
ISGC (t0) | 55,32 | 17,07 | 5,01 | 12,0 | 6,03 | 3,26 | 1,02 | 0,29 |
D-ISGC (t0+8 ans) | 55,32 | 17,07 | 5,01 | 12,0 | 6,03 | 3,26 | 0,85 | 0,46 |
Le désordre augmente autour du Zr
Les chercheurs ont choisi de caractériser l'environnement local des espèces curium, plutonium (Pu) et zirconium (Zr) présentes dans les verres en utilisant la technique XANES. Il convient de noter que c'était la première fois que l'élément Cm était étudié par XAS sur la ligne MARS. Le mode de fluorescence a été utilisé pour éviter la proximité des seuils d'absorption des espèces Pu et Zr, respectivement aux seuils L3 et K. Le seuil L3 a aussi été utilisé pour les espèces Cm. La région spectrale XANES peut fournir des informations structurales mais, en pratique, en raison de difficultés d'interprétation, les caractéristiques dans la région XANES donnent principalement des indications sur la symétrie locale autour de l'atome absorbeur ainsi que sur sa structure électronique.
D’après les spectres de fluorescence XANES, aucun changement n'est survenu dans l'environnement local du Cm. Par ailleurs, un résultat intéressant en lien avec les spectres sur le seuil K du Zr (figure 2) a été obtenu. Les chercheurs ont tenté d'évaluer qualitativement les proportions des différents sites de symétrie dans les 3 verres ISG, D-ISGC et A-ISGC. Pour ce faire, ils ont combiné les spectres XANES de l'elpidite et du m-ZrO2, structures cristallines où Zr est respectivement présent dans des sites de coordination d'ordre 6 et 7. Il est ainsi apparu que le verre ISG est majoritairement (85%) composé d’elpidite et d’une faible proportion de m-ZrO2 (autour de 15%). Cette proportion d’elpidite passe à 58% dans le verre endommagé D-ISGC, et à environ 10 % dans le verre recuit A-ISGC.
Par conséquent, une diminution du composant octahédral D-ISGC (site de symétrie d'ordre 6) traduit une augmentation du désordre en lien avec les effets d'auto-irradiation α autour des espèces Zr. Par ailleurs, des expériences de RMN du 11B réalisées sur ces mêmes verres indiquent que les unités structurales BO4 décroissent de quelques %, ce qui permet à davantage d'ions alcalins légers de circuler dans le réseau silicaté.
Ainsi, ce phénomène physique permet une meilleure neutralisation des unités structurales de grande taille chargées négativement et construites autour des cations Zr.
Figure 2 : (haut) Spectres de fluorescence XANES au seuil K du Zr pour le verre D-ISGC (rouge), le verre A-ISGC (bleu) et le verre inactif ISG (noir). (bas) Comparaison des spectres XANES au seuil K du Zr pour le verre D-ISGC (rouge), le verre A-ISGC (bleu) et le verre ISG (noir) avec les témoins cristallins catapléite (vert) et m-ZrO2 (magenta).
Autre information obtenue : le procédé de recuit n'est pas parvenu à rétablir la structure initiale du verre ISG, car davantage de désordre a été introduit autour des espèces Zr (figure 2). En revanche, d’après des données de RMN du 11B, la proportion initiale de [4]B a été rétablie dans l'échantillon recuit. Cela signifie qu'un changement doit se produire dans les unités silicatées, car davantage d'ions alcalins ou alcalino-terreux sont nécessaires pour servir de compensateurs de charge pour les grandes entités basées sur le Zr. De manière plus générale, il semble probable que le procédé de recuit réussisse à rétablir les unités boratées initiales mais pas les unités silicatées.
À l'avenir, d'autres expériences sont envisagées en combinant la diffusion des rayons X aux grands angles (WAXS) à des simulations au niveau atomique, dans le but de mieux décrire l'environnement local ainsi que l'ordre à moyenne portée autour des différentes espèces lourdes présentes dans les verres nucléaires.