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Une étude menée sur les lignes de lumière DIFFABS et LUCIA par des chercheurs de la plateforme de recherche sur les matériaux anciens IPANEMA (CNRS, MCC) et du synchrotron SOLEIL a permis de constituer une cartographie micrométrique de la concentration et de la spéciation en cérium sur différents fossiles.
Les profils de concentration en terres rares constituent un proxy intéressant, capable de renseigner sur les conditions environnementales et géographiques d’un site donné à un instant t. En établissant des modèles sur l’évolution des concentrations de ces éléments, les scientifiques disposent d’informations permettant de déterminer les propriétés du milieu. Parmi les terres rares, le cérium constitue un cas particulier. En moyenne dans la croûte terrestre, il est aussi abondant que des métaux de transition tels que le cuivre, le nickel ou le zinc. Alors que les autres terres rares sont essentiellement trivalentes, il présente la singularité de pouvoir se trouver à l’état d’oxydation +III ou +IV. Le Ce(IV) formé dans des conditions oxydantes étant insoluble, il en résulte un comportement du cérium différent de celui des autres éléments terres rares, aussi bien en termes de transport, de fractionnement ou de réactivité, qui constitue « l’anomalie cérium »
L’utilisation de cette anomalie comme indicateur environnemental repose sur un postulat : la teneur et l’état d’oxydation du cérium sont supposés homogènes dans l’échantillon. Cependant, cette assertion n’avait jamais été démontrée. L’équipe d’IPANEMA a pu en apporter la preuve pour trois fossiles différents, en combinant la micro-fluorescence et la spectroscopie d’absorption de rayons X.
Cette recherche a permis d’étudier à l’échelle millimétrique cette anomalie cérium. Trois fossiles datés du Crétacé supérieur (100 Ma), appartenant au Muséum d’Histoire Naturelle de Marrakech, ont été analysés. Des mesures de micro-fluorescence de rayons X ont été effectuées sur la ligne de lumière DIFFABS pour obtenir une cartographie des concentrations en terres rares. Ces résultats, comparés à des données de quantification ICPMS, révèlent la présence d’une anomalie négative en cérium dans l’ensemble des échantillons.
Des mesures complémentaires réalisées à l’échelle submillimétrique sur la ligne DIFFABS en spectroscopie XANES au seuil L3 du cérium ont permis d’identifier les deux états d’oxydation du Ce (III et IV). Des cartographies à l’échelle micrométrique ont été collectées sur la ligne LUCIA. Pour les trois fossiles étudiés, 20% (+/-5%) du cérium se trouve à l’état d’oxydation +IV, et ce de façon homogène entre différents organes (os vs. muscles minéralisés). Même si les quantités absolues de cérium varient, le rapport [Ce(IV))/[Ce(total)] apparait donc stable. Les échantillons provenant de différentes couches fossilifères, cela laisse aussi penser que les conditions d’oxydoréduction sont elles aussi homogènes sur plusieurs couches stratigraphiques successives.
Spectres de terres rares semi-quantitatifs partiels reconstruits à partir des spectres XRF traités et comparés aux spectres de terres rares obtenus à partir des quantifications ICPMS. OT01c-s1f2 et OT03a, motifs partiels semi-quantitatifs PAAS-normalisées REE reconstruits à partir des données de XRF (zones de 16 pixels), respectivement recueillies dans l’os et allongé de poissons téléostéens OT03a et dans les tissus mous de la crevette C. Berberus (section transversale OT01c-s1f2); OT04-is2, modèle partiel de REE-PAAS normalisé basé sur les quantifications ICPMS de données recueillies dans un échantillon submillimétrique d'un poisson téléostéen (échantillon de tissu OT04-is2); OT07 et OT08, spectres de terres rares PAAS-normalisés complets basés sur quantifications ICPMS à partir des données recueillies dans des échantillons de submillimétriques, respectivement sur un autre spécimen de la crevette C. Berberus (tissus mous échantillon OT07) et à partir d'un échantillon d'une dent rostrale isolé du chondrichtyens Onchopristis (OT08) trouvé dans la couche de grès juste en dessous des lits argileux qui a livré les autres fossiles; les éléments en gris ne peuvent pas être mesurés dans les modèles partiels.
Ces développements méthodologiques améliorent notre compréhension du comportement chimique du cérium dans les fossiles, permettant une reconstitution plus précise des paléo-environnements et des conditions de fossilisation. Ces résultats montrent que le rayonnement synchrotron, et l’association de techniques complémentaires non destructives, représente une solution prometteuse pour des études micrométriques de la spéciation des espèces chimiques dans les fossiles. Il reste désormais à déterminer si la proportion de Ce(IV) correspond à l’état initial, intermédiaire ou final des conditions locales d’enfouissement. Quoiqu’il en soit, la technique développée pour les fossiles est amenée à être étendue à l’étude d’autres proxies paléo et géo-environnementaux.