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Sur DÉSIRS, une chambre de simulation a été associée à un spectromètre de masse à temps de vol à photoionisation d'aérosols pour réaliser des analyses en ligne d’aérosols organiques et d’aérosols mixtes organiques-inorganiques en utilisant des photons VUV (ultraviolets du vide) accordables, issus du synchrotron, comme source d'ionisation. Pour la première fois, il a été possible de détecter et séparer la phase nanoparticules de la phase gazeuse. Ces résultats sont publiés dans European physical journal.
Les aérosols organiques primaires et secondaires (POA et SOA) sont omniprésents dans l'atmosphère et représentent une contribution significative (~20 à 50 % aux latitudes moyennes continentales et jusqu'à 90 % dans les régions forestières tropicales) à la masse totale des aérosols fins. Ces deux classes ont des compositions chimiques différentes ainsi que des caractéristiques physiques variées qui influencent le climat de la Terre, la clarté de l’air, la chimie atmosphérique et la santé humaine. Plusieurs méthodes sont utilisées avec des analyses en ligne et hors ligne dans le but de comprendre le mécanisme de formation des aérosols ainsi que le vieillissement atmosphérique de ces derniers. La plupart de ces méthodes sont basées sur la spectrométrie de masse du fait de sa haute sensibilité et des analyses rapides qu'elle permet. Une identification universelle et non ambigüe des composés reste cependant très difficile en raison de la haute énergie utilisée par les spectromètres de masse conventionnels (par impact électroniques), ce qui provoque une fragmentation indésirable. Le rayonnement synchrotron VUV accordable peut être contrôlé pour obtenir une ionisation « douce » évitant la fragmentation et facilitant l'identification des composés. Il permet en outre d'identifier et de différencier les isomères en enregistrant les courbes de rendement de photoélectrons en fonction de l'énergie de photon en coïncidence avec l'ion sélectionné en masse.
« À SOLEIL, nous avons associé une chambre de simulation de formation d’aérosols à d'autres outils de chimie atmosphériques tels qu'un SMPS (spectromètre à balayage de mesure de taille par mobilité de particules) et un moniteur d'ozone afin d'étudier les processus de formation des aérosols » (Figure 1), explique María Teresa Baeza-Romero, premier auteur de l'étude publiée dans Europhean Physics Journal D.
Figure 1 : Vue globale du dispositif expérimental. TD = Thermodésorbeur, SMPS = Granulomètre à balayage de mesure de taille par mobilité.
Ozonolyse de l'α-pinène
Pour illustrer les résultats apportés par ce dispositif et ses perspectives d'amélioration, l'ozonolyse de l'α-pinène a été réalisée. Les techniques de coïncidence photoélectron-photoion (qui permettent d'identifier l'électron et l'ion provenant du même événement de photoionisation) ont fourni aux chercheurs des informations sur les isomères de SOA à la masse m/z 184 formés suite à cette réaction d'ozonolyse.
Une chambre de simulation démontable en PTFE de 2 m3, avec plusieurs ouvertures permettant d'introduire des produits chimiques et d'échantillonner les aérosols formés au milieu de la chambre, a été conçue spécialement pour cette étude (voir la Figure 1). L'un des points d'échantillonnage est relié à un granulomètre à balayage de mesure de taille par mobilité (SMPS) pour la mesure de la distribution en taille des aérosols, et un autre à l'entrée du synchrotron VUV-PEPICOMS (« PhotoElectron/PhotoIon COincidence Mass Spectrometer », ou Spectromètre de masse à coïncidence photoélectron/photoion). Pendant les expériences, la chambre était dans l'obscurité et toutes les expériences d'ozonolyse de l’α-pinène ont été réalisées en conditions sèches. L'ozone a été injecté dans la chambre au moyen d'un générateur d'ozone et quantifié par un analyseur d'ozone.
Les aérosols ont été échantillonnés depuis la chambre de simulation à travers un tube de téflon de 6 mm et ont été introduits dans une lentille aérodynamique avec une transmission de 100 % pour des diamètres de particule compris entre 100 nm et 1,5 µm. Un faisceau de particules d'un diamètre inférieur à 0,35 mm est formé à la sortie de la lentille et introduit dans la chambre du spectromètre, où les particules entrent en collision avec un thermodésorbeur (TD) situé à très faible distance (1 mm) du centre de la zone d'ionisation. Ce TD est constitué de tungstène poreux et peut être chauffé jusqu'à 553 K. La température du TD a été réglée sur 423 K pour vaporiser doucement l'aérosol. Une fois l'aérosol vaporisé, il produit une plume quasi-continue contenant les éléments constitutifs des aérosols qui sont ensuite photoionisés par le rayonnement synchrotron VUV. La source d'ionisation (dans la gamme d'énergie 8,5-11 eV pour cette étude) était fournie par DESIRS, ligne de lumière VUV à polarisation variable.
Figure 2 : (a) Spectres de masse en 3D en fonction du temps obtenus par échantillonnage de l'aérosol produit par ozonolyse de l'α-pinène avec une expérience en chambre de simulation. Les spectres de masse comprennent à la fois l'aérosol et les phases gazeuses. La ligne pointillée rouge indique l'injection d'un précurseur organique.
(b) La courbe blanche dans le volet de droite correspond à l'évolution en fonction du temps de la concentration d'ozone dans la chambre (échelle de l'axe supérieur). La matrice 3D représente la distribution granulométrique en taille de particules (nm) tandis que l'échelle de couleurs indique la concentration en nombre de particules (#/cm3) sur l'axe Z.
La Figure 2a présente un spectre de masse 3D typique, intensité en fonction du temps, obtenu en échantillonnant les produits sous forme d'aérosol et de la phase gazeuse provenant de l'ozonolyse de l'α-pinène. Cette figure décrit seulement la première heure de la réaction. La concentration d'ozone et la distribution granulométrique de l'aérosol mesurées en temps réel sont également présentées dans la Figure 2b. Bien que le signal d'O3 diminue rapidement suite à l'injection de l'α-pinène, le signal ionique dans le spectromètre de masse apparaît avec un décalage temporel (Figure 2a). La Figure 2b révèle que des événements de nucléation rapide apparaissent dès l'injection de l'α-pinène dans la chambre. La distribution d'aérosol continue à grandir et à s'élargir au cours du temps, comme l'illustre la forme en « banane » typique visible sur la Figure 2b. Au bout d'un certain temps, l'efficacité d'ionisation peut être mesurée en fonction de l'énergie de photon et de l'énergie cinétique de l'électron pour une masse quelconque, de manière multiplexe. Pour cet exemple a été choisi m/z = 184, un ion parent pouvant être attribué à différents produits (voir la Figure 3). L'énergie d'ionisation déduite (8,92 ± 0,02 eV) a permis d'invalider la présence de 1-OH-pinonaldéhyde et de 1-hydroxy-2,2-diméthyl-3-oxocyclobutanal, par comparaison avec les valeurs calculées pour les quatre isomères possibles. Une détermination complète de la population des isomères est toutefois difficile du fait du manque de données dans la littérature consacrées à la spectroscopie de photoélectrons de ces composés, ce qui diminue la sensibilité aux isomères car la détermination de la structure moléculaire est seulement basée sur la comparaison des énergies d'ionisation théoriques et expérimentales. Il a cependant été possible d’établir que deux des isomères possibles de m/z 184 ne contribuent pas au signal, ou sont en deçà du seuil de détection.
Figure 3 : Balayage d'énergie TPEPICO pour l'ion à m/z 184 entre 8,5 et 11 eV dans l'ozonolyse d'un α-pinène. Les quatre structures isomériques possibles sont présentées en fonction de leurs énergies d'ionisation calculées. En tenant compte de la précision de la méthode théorique, seuls les deux isomères possédant les énergies d'ionisation les plus élevées sont compatibles avec le spectre expérimental.
Les avantages principaux de la spectrométrie de masse par photoionisation sous rayonnement synchrotron pour l'étude des processus de formation d'aérosols sont la capacité d’ajuster la longueur d'onde, la pureté spectrale (qui minimise la fragmentation de l'ion parent pour faciliter la détermination de la masse), ainsi que la haute résolution en énergie et le flux de photons intense pour déterminer les structures moléculaires à partir de la structure électronique enregistrée d'un m/z donné. Ceci est ici obtenu en enregistrant simultanément le signal ionique en fonction de l'énergie de photon et de l'énergie cinétique de photoélectron. Cette technique de coïncidence électron/ion pourrait conduire à un grand nombre d'applications dans la recherche sur les aérosols, étant donné que la sensibilité des dispositifs a récemment augmenté d'un facteur 20 grâce à la mise en service d'une nouvelle lentille aérodynamique à haut débit pour l'injection d'aérosols dans le spectromètre ; ainsi, on se rapproche des faibles concentrations atmosphériques. Enfin, une nouvelle conception de thermodésorbeur a déjà été testée avec un profil plus fin et une température maximale plus élevée, ce qui devrait permettre d'augmenter la résolution en énergie de photoélectron et en masse en minimisant son effet indésirable électrostatique, ainsi que de surmonter certaines des limites de vaporisation observées dans cette étude.