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Adsorption du sélénium sur l’or et l’argent : chimisorption, polymérisation et films de séléniure

Les séléniures tels que les échantillons volumiques de séléniure d'argent présentent un grand intérêt en raison de leur utilisation dans de nombreuses applications telles que les matériaux thermoélectriques, la sensibilisation de plaques photographiques, et les piles photochargeables. Mais si l'adsorption du soufre sur différentes surfaces métalliques a été étudiée de manière extrêmement détaillée, très peu d'études en sciences des surfaces ont en revanche été réalisées sur les caractéristiques d'adsorption de chalcogénures* plus lourds que S. Cette situation a motivé l'étude par le groupe ISMO (Juanjuan Jia et V.A. Esaulov)  de l'adsorption du sélénium sur des surfaces d'Au(111) et d'Ag(111). L'étude a été effectuée en collaboration avec le groupe du Prof. S. Sampath (Indian Institute of Science, Bangalore, Inde) pour les études électrochimiques, et l’équipe de la ligne TEMPO (Azzedine Bendounan et Fausto Sirotti), pour les expériences de photoémission.

Récemment, un effet de magnéto-résistance géante a été mis en évidence dans le séléniure d'argent non stœchiométrique. Ces propriétés ont stimulé de nombreuses études sur les films, les nanocristaux et les nanotubes d'Ag2Se. Ces dernières années, les monocouches auto-assemblées (SAM, Self-Assembled Monolayers) dérivées du sélénium1 et du tellure ont suscité une attention considérable en tant qu'alternative aux SAM dérivées de thiols, par exemple en électronique moléculaire, en raison d'une liaison différente avec le substrat (Se au lieu de S) : ce point revêt une importance clé pour le transport électronique.

L'adsorption du soufre sur différentes surfaces métalliques a été étudiée de manière extrêmement détaillée, mais il existe encore des questions non résolues quant à l'interaction entre le soufre et le métal dans les SAM. Par contre, très peu d'études en sciences des surfaces ont été réalisées sur les caractéristiques d'adsorption des chalcogénures plus lourds, comme Se par exemple. D’où le travail réalisé par des chercheurs de l’ISMO, de l’IISc et de la ligne TEMPO, récemment publié dans Journal of Physical Chemistry.

Adsorption du Se sur Au et Ag

L'adsorption du Se a été réalisée simplement en trempant les échantillons de monocristaux purs dans une solution de Na2Se en solution aqueuse de NaOH pendant un court instant. Cette opération a été effectuée au laboratoire de chimie de SOLEIL Par Karine Chaouchi dans une boîte à gants en atmosphère inerte. Après avoir rincé l'échantillon, l'adsorption du Se a été confirmée par spectroscopie de photoémission X (XPS) sans présence de Na résiduel.

Figure 1. Représentation schématique de la procédure de préparation ; vue d'artiste de la surface d'Au(111) avec le Se ; spectres XPS associés et déconvolutions présentant les différentes composantes du Se ; et les spectres XPS de la surface d'Ag(111) avec Se.

L'étude par voltampérométrie cyclique de l'adsorption de l'or, à l'Indian Institute of Science, a mis en évidence la formation d'espèces adsorbées et de structures de sélénium observées en désorption réductive qui étaient apparentées aux espèces atomiques et polymériques2. Dans le cas de la surface d'Au, l'étude XPS détaillée à haute résolution dans la région Se(3d) présente en fait deux formes principales (figure 1.) qui ont été attribuées, par analogie avec le comportement connu du soufre3, au Se chimisorbé de façon atomique et aux espèces polymériques de Se8. Des formes plus petites dues à d'autres espèces sont aussi observées ; elles sont peut-être attribuables à d'autres conformations de Se, telles que des dimères et du Se en volume. La déconvolution des spectres XPS d'Au(4f) montre aussi que nous ne sommes pas en présence d'un film de séléniure d'or, mais d'une couche de Se chimisorbé, qui ne produit pas de déplacements notables des niveaux de cœur des atomes d'Au de la surface.

Des études préliminaires par microscopie à effet tunnel STM, réalisées au laboratoire Surfaces de SOLEIL en collaboration avec Stefan Kubsky et François Nicolas, ont indiqué la formation d'une surface très « parcellaire » probablement due à la surcouche de séléniure polymérique. La XPS et l'étude d'électrochimie montrent toutes deux que la composante polymérique augmente avec la durée d'incubation.

Figure 2. Image STM de la surface pure d'Au(111) (à gauche ; 200 nm x 200 nm) présentant la reconstruction en chevrons, et l'image avec la couverture de Se (à droite ; 166 nm x 166 nm) présentant la formation d'une surcouche parcellaire.

Différences entre or et argent…

Des différences notables entre l'adsorption du sélénium sur de l'or et sur de l'argent ont été révélées, commençant par un assombrissement notable de la surface d'Ag à l'instar du virage en photographie. En effet, dans le cas de l'adsorption sur l'Ag(111), les spectres XPS pour l'Ag(3d) montrent un élargissement du pic vers les faibles énergies de liaison, ce qui pourrait être déconvolué en une composante de type AgB volumique et une autre correspondant à l'AgSe à faible énergie de liaison, montrant ainsi l'apparition d'un séléniure d'Ag de surface. Le décalage vers les énergies plus faibles peut sembler quelque peu étrange du point de vue des considérations habituelles basées sur le modèle du potentiel électrostatique, mais il est semblable aux décalages observés pour l'oxydation de l'Ag4. Le spectre XPS du Se(3d) apparaît comme sensiblement différent du cas de l'Au, et est dominé par le Se atomique correspondant au séléniure, bien qu'une structure de Se non encore identifiée (et de plus faible intensité) ait aussi été observée à une énergie comparable à celle de la structure de Se8 polymérique pour l'Au.

Cette étude a ainsi révélé des comportements assez différents en termes d'interaction du Se avec les métaux Au et Ag. L'adsorption sur l'Au produit des formations chimisorbées et polymériques de Se tandis que, sur l'Ag, un film de séléniure de surface se forme. Ces mesures XPS précises à haute résolution aideront à mieux comprendre les caractéristiques des films auto-assemblés à base de Se, ainsi que celles des nanostructures de séléniure d'Ag.

 

* chalcogénure : ion négatif d’un des éléments de la famille des chalcogènes (oxygène, soufre, sélénium, tellurium, polonium)

 

Références

1. M. Canepa et al. Phys Chem, Chem. Phys , 2013,15, 11559

2. T.E. Lister & J.L. Stickney, J. Phys. Chem. 1996, 100, 19568

3. P. G. Lustemberg et al.  J. Phys. Chem. C, 2008, 112 (30), 11394

4. H. Gronbeck et al.  Physical Review B, 2012, 85, 115445